L’été dernier, sans crier gare, ma chaudière tout juste âgée de 3 ans commença à faire des siennes, se coupant par intermittence lorsque je tirais de l’eau chaude. L’espace de quelques jours, je descendis régulièrement au sous-sol pour la relancer, entretenant l’espoir illusoire que le problème se réglerait de lui-même comme par magie. C’est après avoir dû rincer à l’eau froide ma tête shampooinée que j’acceptai finalement de me rendre à l’évidence : je ne ferais pas l’économie d’un recours au plombier, en l’occurrence celui qui s’occupe de l’entretien annuel de ma chaudière. J’étais alors loin de me douter que la venue de celui-ci me donnerait l’occasion de composer et publier sur mon site mon premier billet d’humoeur[1].

Grâce à l’opéra-rock Starmania, nous sommes nombreux à avoir été sensibilisés au fameux Blues du business man. Mais combien sommes-nous à avoir jamais songé au stress de l’artisan appelé à se rendre au domicile d’un.e client.e pour une panne quelle qu’elle soit ?
Stress de l’inconnu qu’il va découvrir en arrivant sur place : à quoi ressemblent l’appareil qui ne marche plus, le système qui dysfonctionne ? De quand datent-ils ? Comment ont-ils été installés ? L’ont-ils été par lui ou intervient-il sur un travail réalisé par un autre ?
Stress également de l’obligation de résultat à laquelle est tenu l’artisan, en qui le client démuni autant que désemparé place tout son espoir de retrouver au plus vite un quotidien serein.
Ajoutons enfin la nécessaire montée en intensité du stress lorsque la panne s’avère erratique, comme dans le cas de ma chaudière. Car qui dit panne erratique dit errance de l’artisan, lequel n’a d’autre choix que de procéder par élimination et tâtonnements successifs jusqu’à l’identification du problème et, partant, sa résolution.

Si le plombier vint rapidement, l’efficacité de sa première intervention fut malheureusement de courte durée et il dut revenir au bout de trois jours.  Après avoir de nouveau ouvert et examiné les entrailles de la bête, il posa alors un diagnostic assorti d’un devis que je reçus quelques jours plus tard. J’avoue que mon cœur se serra quand j’en lus le montant. Celui-ci représentait en effet une amputation non négligeable du budget prévu pour mes vacances toutes proches, et je me dis alors que le principe de réalité prend parfois bien cruellement le pas sur le principe de plaisir ! Lors de son troisième passage, le plombier arriva muni de la pièce à changer, de celle à installer, et de sa caisse à outils. Au bout de quelques minutes, je le laissai seul aux prises avec ma chaudière et partis vaquer à mes occupations. Quelle ne fut pas ma surprise de l’entendre me dire deux bonnes heures plus tard qu’il avait certes changé et installé les pièces prévues mais que le problème n’était pas encore réglé : il allait lui falloir revenir le lendemain. De toute évidence, la panne erratique de ma chaudière  donnait du fil à retordre au plombier et je perçus immédiatement au ton de sa voix que cette situation commençait à profondément l’agacer. Je soupçonne qu’il pestait intérieurement à la fois contre cette chaudière qui lui faisait l’affront de lui tenir tête et aussi contre lui-même, se vivant comme tenu en échec, voire humilié par ladite chaudière dont le dépannage lui avait d’ores et déjà pris plus de temps que prévu et lui coûterait donc de l’argent. De mon côté, je commençai de me demander si le plombier était bien de taille à mettre ma chaudière au pas, mais je n’en laissai pas moins le bénéfice du doute lui profiter et continuai de me montrer compréhensive à son égard. J’observai ainsi intérieurement qu’en sa présence, je faisais davantage cas des difficultés auxquelles ma chaudière le confrontait que de l’inconfort bien réel dans lequel je vivais depuis plusieurs jours.

Le jour suivant, il m’apparut bien décidé à rabattre son caquet à l’objet de ses tourments qui, reconnut-il, lui avait occupé l’esprit une bonne partie de la soirée. Sans tarder, il entreprit de vérifier la justesse de sa nouvelle hypothèse, fruit de sa réflexion nocturne. Hélas, trois fois hélas ! Ca n’était toujours pas la bonne, et le duel entre l’homme et la machine reprit de plus belle. Quand je vins aux nouvelles deux heures plus tard, je trouvai un plombier le moral en berne, proche de jeter l’éponge. Il m’expliqua avoir intégralement démonté et remonté la chaudière à deux reprises, en vain. Je compris alors que la persistance de la panne prenait pour le plombier des allures de  Bérézina et qu’à lui tenir ainsi la dragée haute, ma chaudière, outre qu’elle le narguait, infligeait aussi à son ego un coup terriblement douloureux. En moi, le doute sur ses compétences avait quadruplé de volume. Ce fut le moment où tel un diable jaillissant de sa boîte, comme illuminé, il se dirigea vers sa camionnette, en ouvrit la portière, fouilla fébrilement dans la pochette intérieure gauche jusqu’à en extirper un produit qu’il me brandit sous le nez une fois revenu dans le sous-sol : il allait jouer son va-tout, en injectant dans la chaudière une solution de désembouage.

Je n’en menais pas large, et rétrospectivement, je tends à penser que le plombier ne devait pas en mener plus large que moi. Pour lui comme pour moi, même si pour des raisons différentes, l’heure était grave. Et si, de mon côté, je n’aspirais à rien d’autre qu’à retrouver le confort de ma vie d’avant la panne, je percevais que pour le plombier, l’enjeu était tout autre, comme s’il y allait de son honneur après avoir, face à ma chaudière, subi tant de déconvenues[2].
Autant dire que la tension était à son comble, et je vous laisse imaginer combien la vitesse à laquelle le produit fit son effet sur l’impertinente provoqua chez chacun de nous un immense soulagement – même si là encore pour des raisons différentes. À n’en pas douter, il était à la mesure du stress accumulé – toujours pour des raisons différentes – que nous avions chacun géré silencieusement depuis son premier passage, et qui n’avait cessé de s’intensifier au cours des derniers jours pour atteindre son paroxysme quelques minutes plus tôt.
Après avoir reconnu à demi-mot qu’une des pièces par lui changée l’avait peut-être été inutilement, il s’empressa de clamer qu’on ne l’y reprendrait plus : s’il devait encore jamais avoir affaire à une panne du même type chez un autre client, il jouerait la carte du désembouage bien plus tôt qu’il ne l’avait fait chez moi. Ayant à cœur d’être honnête, je dois ici avouer que c’est exactement la question que je m’étais posée en voyant l’effet quasi-instantané de ce que j’appelais par-devers moi sa « poudre de perlimpinpin » ! Puis, il m’informa qu’il restait maintenant simplement à laisser agir le produit une dizaine de jours. Nous convînmes qu’il repasserait une dernière fois le jour précédant mon départ en vacances pour purger l’ensemble du circuit de chauffage.

Fin juillet, le plombier effectua donc un cinquième passage à mon domicile, qui vint clore, tout du moins je le croyais, le délicat chapitre de ses déboires face à ma chaudière. Le lendemain, le portefeuille certes allégé mais l’esprit tranquille et le cœur joyeux, je pris la route des Cévennes pour une semaine de randonnée au grand air en bonne compagnie. J’ignorais alors qu’un nouveau chapitre de tribulations m’attendait avec les premiers frimas de l’automne qui allaient cette fois révéler un fonctionnement erratique de … mes radiateurs !

[1] Point de coquille ou de faute d’orthographe dans ce billet d’humoeur, mais bien plutôt un néologisme de mon cru pour signifier le mariage entre humeur et humour.
[2] Déconvenue : désagrément dû à un insuccès, à une attente déçue.