Extrait de LE JOUR OÙ JE ME SUIS AIMÉ POUR DE VRAI, Serge MARQUIS. Editions Points. 2018.   

Le père d’Alexandrine avait peint sur la toiture de leur grange un gigantesque tableau représentant le Bouddha. Avec une peinture résistant aux intempéries. On ne pouvait voir la chose en entier que du haut des airs, par temps clair. « C’est pour nous rappeler de redescendre sur terre ! », disait M. Beguin.

Un jour de printemps, lors de mon passage à la ferme, nous étions seuls lui et moi, à bord de sa montgolfière. Un rêve d’enfant devenu réalité. On regardait le soleil faire fondre la neige sur le visage du Bouddha.

– Observe ce spectacle, Maryse, il représente l’apprentissage le plus important de ta vie. Un jour, tu apprendras que les pensées des hommes ressemblent à cette neige. Quand elles sont imprégnées de « moi, moi, moi » – la plupart du temps -, elles cachent en eux le Bouddha, la paix. Les hommes croient qu’ils sont le contenu de leurs idées – des mots, des images -, et s’attachent à elles. Ils se disputent pour les protéger et les imposer. Ils se comportent comme s’ils essayaient d’empêcher la neige de fondre au printemps. Devenir intelligent, c’est apprendre à vivre en permanence avec le printemps dans sa tête, ma chérie. On appelle cela la « vigilance ». Apprendre à distinguer les pensées pleines de « moi, moi, moi » de celles qui ne le sont pas. On fait ça comment ? En les observant, comme on observe actuellement le toit depuis ce ballon. On voit alors passer tous les « mon », « ma », « mien », et on les regarde : « Est-ce moi, ça ? » On voit aussi les jugements, les critiques, les blâmes. On se demande : « En quoi cette pensée m’est-elle utile ? », et on la laisse fondre si on estime qu’elle ne l’est pas. La vigilance, c’est un soleil dans notre tête, Maryse. Il arrive même des moments où il n’y a plus de pensées du tout, comme si la neige avait entièrement fondu. On a cessé de vouloir la retenir et on voit ce qu’il y a dessous. On peut alors contempler le spectacle et s’en émerveiller, comme en amour. Devenir intelligent, c’est ce que le mot « aimer » veut réellement dire.

 

Mon commentaire

Cet extrait me fait beaucoup penser aux croyances que nous construisons dans l’enfance sous l’influence de notre environnement familial. Ces croyances sont liées au sens que nous avons donné à certaines situations ou expériences, au comportement de l’autre, à l’interprétation que nous en avons alors faite. Elles correspondent à ces moments charnières où nous n’avons pas eu d’autre choix étant petits que de capituler et de lâcher les émotions et les besoins que nous ressentions alors dans notre Enfant. Ceux-ci sont alors restés figés dans notre Enfant Libre et nous sommes passés dans l’Enfant adapté qui a organisé et agencé son scénario de vie en fonction de ces croyances – croyances sur nous-mêmes, sur les autres et sur la vie. Les croyances que nous avons sur nous-mêmes, c’est souvent ce que la famille nous a fait croire que nous étions. Reposant sur ce que nous avons vécu dans l’enfance, et bien que ne correspondant plus à la réalité des personnes adultes que nous sommes devenues, ces croyances restent agissantes dans notre vie à travers la contamination de notre état du moi Adulte.

Il est donc essentiel en thérapie d’identifier et de décortiquer ces croyances auxquelles l’Enfant en nous continue d’accrocher des émotions très fortes – et souvent susceptibles de l’effrayer – qui l’amènent à se dire « puisque je ressens ça si fort, c’est forcément que c’est vrai, c’est forcément que c’est la réalité ». Autrement dit, par l’intermédiaire de nos croyances, nous assimilons, nous amalgamons la réalité d’aujourd’hui et les émotions très fortes que certaines situations ou comportements déclenchent toujours dans l’Enfant en nous, alors que ce sont en fait les émotions du passé qui s’emparent de la réalité d’aujourd’hui. Il existe un décalage entre la croyance et le réel, et ce décalage vient de ce que l’on a vécu petit. C’est pourquoi il est essentiel de séparer émotion et réalité.

Dépasser ses croyances s’apprend et cet apprentissage paraît long au début car il prend du temps. Mais au fur et à mesure qu’on avance dans l’apprentissage, l’impact de la croyance se fait moins fort. Quand les choses deviennent limpides et que nous avons démonté nos croyances, nous nous rendons compte et de leur absurdité et de leur effet nocif sur notre vie d’adulte. Il nous reste alors à exprimer l’émotion qui était restée figée dans l’Enfant et à laisser fondre ces croyances limitantes forgées dans l’enfance pour les remplacer par d’autres, plus constructives et adaptées à notre réalité d’aujourd’hui, tout en apprenant de nouveaux comportements.